En matière d’éducation, « la technologie n’a jamais résolu aucun problème. » Prononcée par un professeur en système d’information à Grenoble Ecole de Management, Pierre Dal Zotto, le propos a de quoi surprendre. D’autant que l’on parle de plus en plus de numérique dans les établissements, de la maternelle à l’université, et que l’Elysée a organisé, ce 16 décembre 2016, une rencontre avec « les acteurs du numérique à l’école ».
Et pourtant, cette affirmation reflète bien l’état d’esprit qui se fait jour désormais dans le monde de l’éducation, et qui a traversé en filigrane la conférence qu’EducPros a consacrée aux EdTech, les start-up de l’éducation.
Le numérique au service de la pédagogie
Fondateur de Didask, une start-up qui s’appuie sur l’intelligence artificielle pour favoriser l’acquisition de connaissances, Son-Thierry Ly souligne qu’« il faut partir de la question pédagogique pour se demander ensuite dans quelle mesure le numérique peut accroître la qualité des enseignements, favoriser l’accès à l’éducation et faciliter les expérimentations ».
Directeur pédagogique de la Web School Factory, Bruno Faure va dans le même sens, allant jusqu’à dire que parfois, il vaut même mieux revenir aux bons vieux feutres pour griffonner ses idées, plutôt que de vouloir installer de la technologie à tout prix dans les établissements.
Cofondateur de Domoscio, une autre start-up utilisant des algorithmes pour personnaliser l’apprentissage, Ivan Ostrowicz met néanmoins en avant les bénéfices pédagogiques de ce type de plateforme : « d’après des études américaines, 37 % des étudiants acquièrent plus rapidement des connaissances et l’échec est réduit de 18 %. Cependant, insiste-t-il, le numérique ne résout pas tout. On peut être une start-up et travailler sur des innovations pédagogiques avec peu ou sans technologie, comme dans le cas de la classe inversée. » En effet, si le numérique a contribué à diffuser cette pratique, celle-ci est bien plus ancienne !
Quant à l’action politique, elle n’aborde pas toujours le problème sous le bon angle. En témoigne le plan numérique à l’école, comme l’explique Svenia Busson, cofondatrice du EdTechWorldTour : « au-delà de l’équipement, il faut penser à installer le wifi dans les établissements, et former les enseignants », insiste-t-elle. Cette question de la formation est en effet fondamentale, et nécessite de tenir compte de la réalité du métier d’enseignant, notamment en termes de temps car apprendre à maîtriser de nouvelles technologies peut se révéler extrêmement chronophage.
Quels moyens pour les start-up de l’éducation ?
De leur côté, des start-up développent depuis quelques années des applications ou des plateformes web permettant de réfléchir à son orientation, rendre un cours plus interactif, réviser ses examens ou encore gérer son emploi du temps.
Cependant, ces start-up EdTech ne parviennent que difficilement à pénétrer l’Education nationale et le monde de l’enseignement supérieur. En cause, notamment : « le cadre contraint des marchés publics, pas très adaptés aux start-up », estime Ivan Ostrowitz de Domoscio, qui rappelle qu’« au-delà de 25.000 euros, il faut passer un appel d’offre, une procédure plus lourde. Sans compter le fait que les entreprises de moins de trois ans n’ont pas le droit de se présenter, ce qui oblige à nouer des partenariats ».
Cofondatrice d’Educapital, le premier fonds d’investissement dédié aux EdTech en France, Marie-Christine Levet pointe « la sous–capitalisation du marché et le retard dans la France en la matière ». Et de donner des chiffres : « sur les 6,5 milliards de dollars investis en 2015 dans les EdTech, 97 % l’ont été aux Etats-Unis et en Chine. En France, 1,8 milliard a été investi en 2015 dans jeunes entreprises, dont 40 millions dans la filière EdTech.
« Le secteur de l’éducation est sous-digitalisé, poursuit Marie-Christine Levet qui donne le chiffre de « 3 % quand ce taux atteint 15 à 20 % dans le e-commerce et 35 à 40 % dans les médias. Le secteur de l’éducation fait peur au privé à cause des cycles très longs de l’Education nationale », analyse cette pionnière du web en France qui a notamment fondé Lycos avant de diriger Club Internet. Si le numérique constitue un moyen au service de la pédagogie, encore faut-il que les start-up aient les moyens de développer les outils adéquats.
Alors que le fonds Educapital est en cours de montage, un observatoire des EdTech doit également se lancer début 2017. Deux éléments fondamentaux pour donner des moyens et de la visibilité au secteur, et permettre de déployer de nouveaux outils pour l’éducation.